Cet article fait partie de Perspectives: une série de réflexions en ligne de la communauté des arts médiatiques au Canada, créée avec le soutien du Conseil des arts du Canada.
En 2016-2017, l’AAMI a organisé une série de rencontres sur deux jours pour le secteur canadien des arts médiatiques, portant respectivement sur l’art sonore, le film analogique et la stratégie numérique. Chaque rencontre a eu lieu dans une ville différente au Canada, ce qui a servit à échanger des points de vue et renforcer les liens au sein de ces collectivités de grande envergure, tout en offrant un espace important pour des discussions ciblées sur les enjeux pressants auxquels chaque secteur est confronté. Avec l’idée de poursuivre les discussions dans un format public, l’AAMI a commandé des réflexions écrites à plusieurs auteurs sur un sujet de leur choix en rapport avec les discussions tenues.
Cette réflexion d’Aimée Mitchell s’inscrit dans la foulée du Colloque sur le film analogique qui s’est déroulé du 23 au 24 mars 2016 à Calgary, AB.
Colloque sur le film analogique de l’AAMI – Écologies de la pellicule
En mars dernier, je me suis jointe à des représentant.e.s de l’ensemble du milieu canadien des arts médiatiques réuni.e.s à Calgary pour discuter des façons dont le milieu peut continuer à soutenir la production, l’exposition et la préservation des films analogiques. Ce fut l’occasion pour les personnes engagées au sein de ce réseau d’exprimer leurs préoccupations et de définir une stratégie ciblée avec l’Alliance des arts médiatiques indépendants (AAMI). Y participaient du personnel et des membres du CA des centres de production et de distribution, ainsi que des membres des collectifs cinématographiques et de nos derniers laboratoires de cinéma analogique au Canada. Pendant deux jours, nous avons partagé nos expertises de terrain sur les besoins spécifiques du cinéma analogique, et nous avons réfléchi à des moyens d’aller de l’avant pour ce qui est du partage et de l’accès aux ressources, et aux démarches auprès des organismes de financement pour obtenir du soutien à la préservation, tout en abordant le besoin d’équité et de sensibilisation dans le milieu, tant pour le personnel que pour les collectivités desservies.
Le colloque a coïncidé avec le 100$ Film Festival de la Calgary Society of Independent Filmmakers (CSIF), qui célébrait justement son 25e anniversaire. Ce festival est l’un des rares au Canada à ne présenter que des films sur pellicule petit format – un événement poignant aux prises avec certaines des préoccupations soulevées lors de nos séances de jour.
Ainsi, après une journée de discussions en profondeur approfondies, nous nous retrouvions au cinéma, immergés et engagés sur le plan critique dans le média même que nous avions passé la journée à examiner. Celles et ceux qui travaillent dans le milieu des arts médiatiques comprennent mieux que quiconque l’immensité du travail renfermé dans une bobine de film terminé qui passe dans un projecteur. Mais pour moi, il y avait quelque chose dans la proximité de nos discussions et dans cette expérience du cinéma chaque soir qui amplifiait le réseau du travail. Cela m’a surtout permis d’examiner la façon dont le milieu fonctionne comme un écosystème avec des forces internes et externes qui entravent sa capacité à prospérer.
Ce qui suit est un résumé des questions, préoccupations et suggestions qui ont émergé de cette rencontre de deux jours – à travers l’idée de sauvegarder la pratique et la préservation du cinéma analogique dans le milieu des arts médiatiques. Ce regard rétrospectif sur nos discussions en révèle les lacunes et les manquements – là où nous devons tirer les leçons des échecs afin de nous éloigner des systèmes qui perpétuent les inégalités, et de considérer quelles voix sont protégées.
Production
Questions :
– Le partage des connaissances et l’apprentissage : comment le milieu fait-il en sorte que les savoirs sur la réparation et l’entretien des médias traditionnels ne se perdent pas ?
– Comment le milieu peut-il s’éloigner de la réification de la technologie cinématographique et de l’idée que c’est un médium exclusif pour le rendre accessible à tous ?
– Comment les centres de production peuvent-ils combler le fossé entre les zones rurales et les villes en termes d’accès aux ressources ?
Préoccupations
– Rareté de l’équipement, des réparations et du matériel.
– Portée significative vers les communautés marginalisées où le travail de sensibilisation n’est pas confié à l’organisation partenaire.
Suggestions
– Fournir au réseau des arts médiatiques une base de données active indiquant qui possède quel équipement analogique et où il se trouve.
– Une base de données numérique de manuels d’équipement que les gens peuvent continuellement enrichir.
– Une liste des personnes qui peuvent effectuer des réparations majeures (par exemple, le réparateur itinérant de Steenbeck).
– Une base de données d’approvisionnement en pièces pour les équipements et le matériel.
– Un partenariat avec des écoles d’ingénieurs pour l’outillage et le prototypage de pièces 3D.
– L’achat en gros de matériel par les centres de production d’une région, ou peut-être par le milieu (par exemple, s’adresser à Kodak pour un achat en gros de pellicule). Si un partenariat pouvait être établi, ils pourraient peut-être aussi faire un don de pellicule pour les programmes de sensibilisation.
– Créer une base de données des laboratoires en Amérique du Nord et du type de traitement dans lequel ils se spécialisent pour le partager avec les cinéastes.
– Établir des partenariats avec les écoles et les organismes communautaires pour enseigner les bases du cinéma analogique dans leur milieu d’apprentissage plutôt que dans un centre de production.
Laboratoires
Préoccupations
– Gérer les attentes des cinéastes quant à la fidélité de l’image originale du film par rapport à une nouvelle copie, et la qualité de l’image d’un scan numérique.
– La précarité de l’état des laboratoires, bien que leurs activités soient souvent stables.
Suggestions
– Travailler avec les distributeurs et les centres de production pour sensibiliser les cinéastes analogiques à la fidélité des transferts analogiques et numériques.
– Travailler avec les distributeurs et les centres de production pour sensibiliser les cinéastes analogiques à la valeur des scans numériques, en particulier comme point de référence pour le laboratoire. Les scans haute résolution sont bien accueillis par les archives et les laboratoires. C’est un moyen sécuritaire d’accéder à l’œuvre sans avoir à exposer les éléments originaux à d’éventuels dommages ou changements environnementaux.
Distribution et programmation
Questions
– Comment les distributeurs peuvent-ils travailler avec les centres de production et les programmateurs pour promouvoir le travail des artistes de couleur et des gens de communautés marginalisées ? Comment la notion de canon cinématographique d’un distributeur peut-elle être révisée ou reconsidérée, comment est-il possible de s’en passer ? À qui sert la notion de canon ?
– Comment les distributeurs soutiennent-ils la diffusion des films sur pellicule lorsqu’une copie est fragile ?
– Comment ne pas dissuader un programmateur de montrer des copies fragiles ou uniques, sachant qu’il est responsable des dommages ?
Préoccupations
– On ne distribue et ne programme pas assez les cinéastes de couleur, autochtones ou bispirituels, surtout lorsque ce sont des artistes émergent.e.s qui ont besoin d’encouragement pour poursuivre leur pratique.
– Les centres de distribution sont devenus de facto des centres d’archives, mais n’ont aucun financement pour soutenir le travail de sauvegarde qu’ils font inévitablement en s’occupant d’une collection de films analogiques.
– Comment garder une collection de films fragiles en activité, tout en étant fidèle aux œuvres et aux intentions des artistes.
Suggestions
– Faire participer la National Indigenous Media Arts Coalition (NIMAC) à la conversation et écouter les besoins des organismes et des artistes qu’ils représentent, et ce qu’ils souhaitent obtenir.
– Créer davantage de forums permettant aux artistes d’exprimer leurs besoins auprès de leurs distributeurs, au-delà d’une assemblée générale annuelle.
– Développer un lieu d’archivage dédié aux cinéastes ou s’associer à l’une des plus grandes archives du Canada pour amorcer la discussion sur le dépôt des œuvres d’artistes indépendants.
– Créer un formulaire d’inspection normalisé à usage interne pour les films analogiques dans les centres de distribution afin de suivre avec précision l’état des copies. Ces rapports pourraient être partagés avec les cinéastes.
– Travailler avec les cinéastes pour discuter de leur plan de préservation des films, de leur héritage et de la sauvegarde des éléments originaux.
– Travailler avec l’AAMI et les centres de production pour obtenir des tarifs d’artistes dans les laboratoires de cinéma pour la réalisation de nouvelles copies.
– Travailler avec des laboratoires pour sensibiliser les cinéastes aux avantages de la numérisation de leur travail et les aider à gérer les attentes liées les attentes liées à l’image numérique.
Projection & Exposition
Questions
– Comment un cinéaste ou un distributeur peut-il décider à qui confier une copie rare pour une projection ou une exposition ?
– Comment les distributeurs et les artistes peuvent-ils sensibiliser les programmateurs à l’importance de projeter des films quand c’est possible ?
– Qui doit payer les coûts d’une nouvelle copie en cas de dommages ? Quand une nouvelle copie est-elle requise ? À quel niveau de dommages ?
Préoccupations
– Les programmateurs, lorsqu’ils en ont l’option, choisissent souvent le numérique plutôt que l’analogique pour réduire les frais d’expédition et de projection.
– Il y a de moins en moins de salles avec des projecteurs 16mm et 35mm sur socle.
– Il y a moins de projectionnistes qui savent utiliser et dépanner en toute confiance ce type de projecteurs.
– Il y a moins de personnes capables d’entretenir correctement les projecteurs.
– On trouve moins de pièces de projecteurs (pour les organisations qui n’ont pas déjà accumulé une variété de modèles).
– Il n’ y a pas de normes de projection/exposition pour les microcinémas en dehors des cinémathèques.
– Les microcinémas et les collectifs n’ont pas toujours les moyens de payer des copies de remplacement lorsqu’un film est endommagé, laissant la charge au collectif, au réalisateur et au distributeur de trouver une solution.
Suggestions
– Compiler et mettre à jour régulièrement une base de données sur les espaces d’exposition où il est possible de visionner des films, avec les modèles de projecteurs, la puissance des ampoules, les jauges et la vitesse de projection.
– Mettre à disposition une base de données avec des manuels de projecteurs numérisés.
– Amener des projectionnistes qualifiés dans différentes régions du pays pour partager leurs connaissances et animer des ateliers sur les principes de base de la projection analogique, de l’entretien et de la réparation.
– Créer une fiche d’information standard pour les films que les distributeurs et les cinéastes indépendants peuvent modifier et remplir pour l’envoyer aux exploitants/projectionnistes. Avec également des conseils de base sur la projection et une section que le projectionniste pourrait remplir en cas de dommages ou de problèmes avec la projection.
– S’associer avec des écoles d’ingénieurs pour l’outillage et le prototypage 3D de pièces de projecteurs.
Depuis le Colloque sur le film analogique, un mouvement de défense et d’organisation s’est amorcé sur plusieurs fronts. Un groupe de participant.e.s a poursuivi la conversation sur la façon dont le milieu peut aller de l’avant sur les questions soulevées en mars dernier. Les discussions ont porté sur la façon dont un rassemblement national ou international plus vaste pourrait avoir lieu au cours des prochaines années. Bien que les idées en soient encore au premier stade, l’élan créé par ce colloque continue à résonner auprès des participant.e.s et les invite à passer à l’action.
De plus, de nombreux centres de distribution et organismes d’arts médiatiques ont également été invités à participer à une subvention de partenariat du CRSH dirigée par la professeure Janine Marchessault de l’Université York. J’ai eu l’occasion de travailler sur cette demande à titre d’administratrice et, une fois de plus, j’ai été inspirée par l’immense enthousiasme manifesté au sein du milieu des arts médiatiques pour se réunir et partager son expertise dans la sauvegarde de l’écologie du réseau. Archive-Counter Archive: Activating Canada’s Moving Image Heritage (A/CA) est un partenariat de recherche-création d’une durée de six ans qui vise à résoudre la crise du patrimoine audiovisuel canadien au moyen d’un plan systématique et multi-institutionnel visant à faciliter l’accès du public et les politiques publiques. A/CA cherche à mettre en valeur le patrimoine audiovisuel le plus précaire du Canada en étudiant et en s’intéressant à une sélection d’études de cas dans les centres d’artistes du Canada, dont le Canadian Filmmakers Distribution Centre, le Groupe Intervention Vidéo, Urban Shaman, VIVO, Vtape et le Winnipeg Film Group. Ces études de cas porteront sur les arts médiatiques réalisés par les femmes, les peuples autochtones, les communautés lesbiennes, gaies, bisexuelles, transsexuelles, bispirituelles et queers (LGBT2Q), et les archives des communautés immigrées du Canada. Le projet vise à promouvoir un réseau d’archives audiovisuelles au Canada, reliant les archives communautaires aux citoyen.ne.s, aux chercheuses et chercheurs ainsi qu’aux décideur.e.s afin d’identifier les besoins de préservation audiovisuelle dans différents contextes communautaires et d’éclairer les défis et les épistémologies qui entourent les archives du XXIe siècle. Le succès de cette subvention renforcerait le plaidoyer en faveur de la préservation audiovisuelle soutenu par l’AAMI et le milieu des arts médiatiques. Le résultat tant attendu de cette proposition de projet est prévu à la fin mars 2018.
Revenons à la métaphore de l’écosystème pour parler de la sauvegarde du cinéma analogique : le XXIe siècle est profondément investi dans des modèles de durabilité qui impliquent que chacun fasse sa part pour sauver ou protéger les ressources. Si nous considérons le cinéma analogique comme un écosystème qui a besoin d’être revitalisé comme ressource culturelle, il faut alors mettre en œuvre des stratégies et des ressources, et les partager pour soutenir le système d’une manière qui serve toutes les parties concernées. Le Colloque sur le film analogique a permis au milieu de présenter un aperçu pour ensuite passer à l’action. L’activation du réseau des arts médiatiques exige que des compétences à la fois professionnelles et peu reconnues se mettent à travailler de concert – celles qui font partie de nos sphères formelles des arts médiatiques, mais aussi celles qui continuent d’être laissées pour compte. Ces conversations font partie intégrante de l’avenir. Il doit y avoir une autonomie des moyens d’action au sein du réseau de l’écosystème afin de maintenir l’expansion d’un environnement actif et dynamique.
Enfin, j’ai participé au Colloque sur le film analogique en tant que distributrice de films et gestionnaire de collections au Canadian Filmmakers Distribution Centre (CFMDC). Depuis, j’ai quitté mon poste au sein du CFMDC, mais je continue à être en contact avec la communauté en tant que projectionniste, programmatrice, universitaire et défenseure des arts médiatiques. Je me soucie de l’héritage vivant et actif des copies uniques à partir des points de vue suivants : comme personne qui travaille avec les artistes pour protéger leur travail tout en le maintenant en circulation, à qui on fait confiance pour inspecter, embobiner et projeter des copies artisanales, en tant que programmatrice qui respecte les choix artistiques des cinéastes qui veulent projeter leur film sur pellicule, et aussi en tant qu’universitaire intéressée par l’histoire, la politique et les pratiques quotidiennes de la préservation audiovisuelle au Canada. C’est à partir de ces différentes perspectives que j’ai réfléchi au colloque de mars dernier et au réseau qui soutient les artistes qui continuent à expérimenter le cinéma analogique. J’ai hâte de participer aux prochains rassemblements afin de poursuivre sur la lancée de cet événement.
***
Biographie :
Aimée Mitchell est l’ancienne gestionnaire de la distribution et des collections au Canadian Filmmakers Distribution Centre. Elle est actuellement gestionnaire de projet pour le XL-Outer Worlds Project, qui propose à cinq artistes canadien.ne.s de réaliser des courts métrages inspirés par l’invention et la technologie IMAX. Elle est titulaire d’une bourse de recherche postdoctorale MITACS de l’Université York, où elle effectue des recherches sur les débuts de l’histoire de l’IMAX et sur la reconstitution de cette histoire grâce à des traces tirées de fonds personnels et de contre-archives. Elle est titulaire d’un doctorat du programme conjoint de communication et de culture de l’Université York et de l’Université Ryerson. Sa thèse portait sur les politiques et les pratiques des archives audiovisuelles au Canada, et plus particulièrement sur l’importance des pratiques d’archivage DIY sous ses diverses formes. Elle a effectué les recherches d’archive et a collaboré au livre Reimagining Cinema: Film at Expo 67 (MQUP 2014). Elle est membre du collectif du Toronto Queer Film Festival, qui présente des œuvres contemporaines numériques et analogiques produites par des personnes queer et transgenres. Elle siège également au conseil d’administration du 8fest Small-Gauge film Festival. Elle défend les intérêts des artistes médiatiques de tous horizons.
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