Cet article fait partie de Perspectives: une série de réflexions en ligne de la communauté des arts médiatiques au Canada, créée avec le soutien du Conseil des arts du Canada.
En 2016-2017, l’AAMI a organisé une série de rencontres sur deux jours pour le secteur canadien des arts médiatiques, portant respectivement sur l’art sonore, le film analogique et la stratégie numérique. Chaque rencontre a eu lieu dans une ville différente au Canada, ce qui a servit à échanger des points de vue et renforcer les liens au sein de ces collectivités de grande envergure, tout en offrant un espace important pour des discussions ciblées sur les enjeux pressants auxquels chaque secteur est confronté. Avec l’idée de poursuivre les discussions dans un format public, l’AAMI a commandé des réflexions écrites à plusieurs auteurs sur un sujet de leur choix en rapport avec les discussions tenues.
Cette réflexion de Missy LeBlanc s’inscrit dans la foulée du Colloque national des arts médiatiques autochtones qui s’est déroulé en juin 2018 au Wanuskewin Heritage Park à Saskatoon.
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12 au 15 juin 2018 – Saskatoon, SK
Texte traduit par Christiane Charbonneau
[metaslider id= »4282″]En juin 2018, la Coalition nationale autochtone des arts médiatiques (NIMAC), en partenariat avec l’Alliance des arts médiatiques indépendants (AAMI), a tenu un colloque national au Wanuskewin Heritage Park à Saskatoon. Intitulé Écouter, Observer, Transmettre, le colloque a rassemblé des universitaires, des artistes et des travailleurs culturels autochtones, de même que des organismes d’arts médiatiques et des alliés non autochtones, pour trois jours de tables rondes, d’ateliers, d’expositions, de performances et de projections. Le colloque était axé sur la résurgence autochtone, et chaque journée était consacrée à une pratique en ce sens : d’abord l’écoute, ensuite l’observation, puis la transmission.
La veille du début officiel du colloque, un festin communautaire a eu lieu pour souhaiter la bienvenue aux panélistes et aux participants. En parallèle au festin, les invités ont pu apprécier l’œuvre We Are Star People de Jason Baerg, artiste d’origine crie et métisse et de l’artiste Fransaskois Jean-Sébastien Gauthier. Basée sur la cosmologie crie, cette installation interactive transportait le spectateur au Pakone-Kisik (amas étoilé des Pléiades). Le festin et l’installation ont permis aux participants de faire connaissance et de commencer à forger des liens, en préparation aux discussions souvent intenses qui allaient se tenir durant le reste de la semaine.
Pour chaque journée du colloque, un film correspondant au thème du jour a été présenté sur l’heure du dîner. Toutes les projections étaient présentées par des commissaires autochtones, et tous les films et vidéos étaient créés par des cinéastes et des artistes autochtones. Le premier jour, j’ai eu l’occasion d’être commissaire de la projection Reverberate, qui représentait le thème de l’écoute. Le lendemain, le cinéaste, artiste et commissaire Eli Hirtle (d’origine crie, britannique et allemande) s’est basé sur le thème de l’observation pour sa projection, intitulée micimwaci: kayâs, mekwâ, nîkânote // ᒥᒋᒪᐧᒋ: ᑲᔮᐢ ᒣᑳᐧ ᓃᑳᓄᑌ // intemporel : passé, présent, futur. Lors de la dernière journée du colloque, Jennifer Smith (Métisse) a abordé le thème de la transmission dans sa projection, qui avait pour titre L’avenir.
Le colloque a commencé par un discours d’ouverture de Marjorie Beaucage. Oratrice et cinéaste métisse, Beaucage est une véritable matriarche des médias. Elle a ouvert le colloque en récitant un poème et en entamant une discussion sur l’art de raconter des histoires. Selon elle, les histoires sont une forme de médecine, et les artistes sont des conteurs. Les histoires unissent tous les gens, et les artistes, en tant que conteurs, ont la responsabilité de partager ces offrandes, de transmettre cette médecine. Beaucage a terminé son discours avec une projection de Giving Back, une vidéo commémorant le 25e anniversaire du rassemblement à Banff de l’Aboriginal Film and Video Arts Alliance. Le rassemblement avait pour but de créer un espace où les artistes autochtones pouvaient explorer leurs histoires à leur façon, un combat qui demeure d’actualité.
La première table ronde, « (Dis)Organizational Structures », était animée par Jennifer Smith et réunissait les panélistes Lori Blondeau de TRIBE Inc. (Crie/Saulteux/Métisse), la Dre Erin Sutherland de l’Ociciwan Contemporary Art Collective (nation métisse et colons) et Tania Willard de la Bush Gallery (nation Secwépemc et colons). La table ronde portait sur les organisations artistiques autochtones à travers le Canada qui œuvrent selon des modèles collectifs et qui font appel aux méthodologies et aux modes d’acquisition du savoir des Autochtones dans leurs structures organisationnelles. En partageant leurs histoires personnelles, les panélistes ont révélé pourquoi ils estimaient que ces modèles collectifs répondaient le mieux aux besoins de leurs organisations, comparativement au modèle organisationnel du « white cube » occidental. Ils ont aussi parlé de l’emploi de main-d’œuvre autochtone au sein d’espaces non autochtones et de ce que cela signifie quand vient le temps de présenter des œuvres artistiques. Les panélistes ont également abordé le sujet de la présence ou de l’absence d’espaces consacrés aux artistes et collectifs autochtones. Finalement, ils ont discuté de ce à quoi pourraient ressembler des espaces autochtones souverains.
Le jour deux du colloque a commencé avec une table ronde très animée, intitulée « The Canada 150 Hangover ». La discussion était modérée par Ariel Smith (d’origine nêhiyaw et juive) et comprenait Jason Baerg, Jamie Isaac (Anishinaabe) et Janet Rogers (Mohawk/Tuscarora). Les participants ont discuté de l’après 150e, tant en matière de financement que de réconciliation, et des façons dont les artistes et organismes autochtones peuvent poursuivre les discussions importantes entamées à l’aube du cent cinquantenaire du Canada en 2017. Poète et artiste sonore prolifique, Rogers a suggéré que les artistes devaient occuper, voire se réapproprier l’espace et l’utiliser d’une manière authentique, au lieu de prendre l’espace qui leur est donné. Selon Rogers, les terres autochtones n’ont pas été volées, mais elles sont occupées, et les peuples autochtones doivent eux-mêmes se les réapproprier afin d’en reprendre possession. En tant que vecteurs de la culture, les artistes peuvent faciliter cette reprise en se réappropriant l’espace physique (galeries), les terres et même les ondes. L’occupation autochtone mènera à la survie des Premières Nations. Commissaire de l’art autochtone et contemporain à la Winnipeg Art Gallery, Isaac travaille au sein des institutions coloniales et à l’extérieur de celles-ci. Elle note que nous ne sommes pas au tout début de cette démarche, que beaucoup a déjà été fait par des travailleurs culturels autochtones dans le passé; à titre d’exemple, elle cite le Rapport du Groupe de travail sur les musées et les Premières Nations de 1992. Isaac estime qu’il est temps que les institutions répondent à ces appels à l’action. Professeur adjoint à l’Université OCAD en pratiques autochtones en peinture contemporaine et en arts médiatiques, Jason Baerg a parlé de comment il parvenait à décoloniser les institutions en fournissant du matériel à ses étudiants et en les encourageant à s’exprimer à travers l’art. Ce sont les efforts acharnés de nombreux artistes et travailleurs culturels autochtones qui nous ont permis d’arriver là où nous en sommes aujourd’hui. Cela dit, les institutions coloniales doivent maintenant faire une partie du travail afin qu’un véritable changement structurel soit possible.
Le dernier jour du colloque, les participants ont été invités à réfléchir au thème de la journée, transmettre, et à trouver des façons de poursuivre, une fois leur retour à la maison, les conversations entamées durant l’événement. La table ronde intitulée « Publishing and the Self », animée par Lindsay Nixon (Crie/Métisse/Saulteaux), comprenait les panélistes suivants : Joi T. Arcand (Crie), qui a parlé du zine Kimiwan; la blogueuse et rédactrice artistique Amy Fung; Victoria Inglis du Red Rising Magazine (Dënesułįne et Nîhithaw); et la Dre Julie Nagam, présidente de la chaire de recherche en histoire de l’art autochtone en Amérique du Nord, une nomination conjointe entre l’Université de Winnipeg et la Winnipeg Art Gallery (Métisse – Anishinaabe/Française/Allemande/Syrienne). Ensemble, ils ont discuté des manières de penser et de comment, en tant que peuples autochtones, nous pouvons écrire et partager nos propres histoires. Par ailleurs, ils ont abordé l’importance des documents d’archives et de la diffusion du savoir pour les générations futures, en créant du matériel écrit du point de vue des Premières Nations. Ils ont aussi parlé de l’importance de créer des espaces pour que s’expriment les voix qui se font rarement entendre. Finalement, ils ont discuté de comment et quand il faut prioriser les langues autochtones, au détriment de l’anglais, dans les publications.
Le colloque Écouter, Observer, Transmettre était axé sur les problèmes auxquels sont confrontés les artistes et organisations autochtones en arts médiatiques. Cela dit, il est important de discuter de ces questions avec la communauté élargie des arts médiatiques. Les artistes et travailleurs culturels autochtones ont travaillé d’arrache-pied pour faire leur place et obtenir la reconnaissance dont ils jouissent aujourd’hui, et ils continueront à le faire. Or, ils ont besoin d’aide pour aller plus loin. Ce n’est qu’avec le soutien des artistes et organismes non autochtones que nous pourrons trouver l’espace nécessaire pour poursuivre ces conversations.
BIO
Missy LeBlanc est administratrice des arts et conservatrice d’origine métisse, crie et polonaise. Elle a récemment effectué un stage au National Museum of the American Indian du Smithsonian Institution à Washington, DC, en plus d’être l’actuelle coordonnatrice de programme pour l’Ociciwan Contemporary Art Collective. LeBlanc détient un baccalauréat en arts de l’Université de l’Alberta, spécialisé en histoire de l’art, en design, en culture visuelle et en sociologie. Elle possède également un diplôme en gestion des arts et de la culture de l’Université MacEwan. LeBlanc est née et a grandi à Edmonton, en Alberta, où elle demeure actuellement.
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